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Il y a chez Barbey d'Aurevilly une hantise du «chaos» qui préside à
sa production littéraire et, dès lors, la conscience aiguë de donner naissance
à une «strange thing», hybride qui noue et croise genres et
registres dans la plasticité de l'écriture romanesque. Le «conversationniste»
qu'est Barbey réinvestit dans ses récits la puissance de son éloquence
: ainsi naît un véritable art oratoire romanesque dont les excès
nourrissent l'énergie. L'éloquence concentre poétiquement les significations,
donne à voir ce qui est innommable, jusque dans l'épuisement de
l'évocation, tout en ouvrant sur des profondeurs de mémoire. Au creux
de cette faculté travaille une mélancolie, dont le signe s'étend sur tous
les récits aurevilliens. Elle en détermine la dynamique : de prodigieuses
chimères sont élaborées pour mieux être détruites. Le roman excède
alors ses limites pour se faire «poème de mélancolie» : épopée et
lyrisme s'intègrent à ce poème. Le déploiement et les séductions de la
forme recouvrent un «dessous» que creuse un descellement intérieur,
combinent la nostalgie de l'atticisme à tous les excès de l'asianisme.
Barbey, qui se revendique barbare, fait jouer cette torsion jusqu'au coeur
de ses phrases en hybridant jonction et disjonction, goût du fragment et
unification à la fois oratoire et poétique. Ainsi se crée le rythme qui, aux
yeux de Barbey, fait naître «la meilleure façon de voir le Monde», c'est-à-dire
en littérature.