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Fin 1897 l'innocence du capitaine Dreyfus éclate au grand jour. S'opère
 alors un étonnant chassé-croisé. Bernard Lazare, le premier à avoir réfuté
 publiquement la thèse d'un Dreyfus coupable, se retire de la scène médiatique.
 Alors que Maurice Barrès, jusqu'ici silencieux, s'engage dans le déni
 de l'évidence : l'injustice commise à l'égard du capitaine juif.
Le livre d'Uri Eisenzweig se penche sur ce moment paradoxal. Il en
 propose une interprétation touchant aux positions de fond de ces deux
 penseurs majeurs du dreyfusisme et de l'antidreyfusisme. Marqués par
 une même sensibilité littéraire fin de siècle, tous deux rejettent le récit
 comme forme privilégiée du vrai.
C'est ce rejet qui, après avoir guidé son geste pionnier de démystification,
 écarte l'anarchiste Lazare du combat centré sur l'effort de raconter
 la vérité - dont le «J'accuse !» de Zola est le modèle. En même temps,
 la fascination pour une vérité échappant au récit génère chez Barrès une
 imagination romanesque qui, transposée au domaine politique, annonce
 le fascisme : une conception de la Nation comme entité organique enracinée,
 fatalement menacée par toute altérité, tout récit. À cette vision
 du monde correspondent un refus des valeurs universelles et un déterminisme
 racial.
Le livre se termine sur une lecture du superbe Journal d'une femme de
 chambre (1900) d'Octave Mirbeau. Inversant le rapport barrésien entre
 récit et vérité, ce roman est le premier à souligner que l'imaginaire
 fasciste naissant est indissociable d'un nouveau statut littéraire pour
 l'Autre - ici, le Juif, tel que le représente l'antisémitisme.