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Notre fréquentation du monde se meut aisément entre deux pôles de la
mondanité : d'un côté le monde objectivé, le monde «en soi», un monde
«sans nous» ou du moins un monde qui est le même pour tous ; de l'autre
le monde qui se manifeste à nous, un monde qui se touche, se saisit, se
prête à l'action et à la passion, bref un monde familier et «fait pour
nous».
Leibniz hérite pleinement de l'exigence philosophique d'objectivation,
présente de longue date, et se définit par conséquent comme théoricien
de la substance, la catégorie basique du monde objectivé depuis la philosophie
grecque. D'un autre côté, il façonne à nouveaux frais l'approche du
monde manifeste. En effet, par sa reconfiguration du thème des apparences
ou des phénomènes, il confère à ceux-ci une consistance et une
assise complètement originales, dont ils restaient dépourvus dans le
scepticisme qui avait jusque-là déterminé l'approche du monde manifeste.
Se targuant toujours en matière philosophique «d'aller plus loin qu'on
n'est allé encore», Leibniz resitue le monde objectivé et l'écarte rigoureusement
du monde manifeste ; il s'efforce dans le même temps de
rattacher ce dernier à ses fondements objectifs, et donc de penser la
relation complexe qui les unit.
Poursuivant les directions de travail ainsi esquissées, la présente
enquête éclaire trois types de raisonnements : ceux qui circonscrivent
l'étoffe même du monde manifeste, ceux qui mènent du monde manifeste
au monde objectivé des substances, et ceux qui retracent en sens inverse
la production du monde manifeste à partir de ses fondements dans le
monde objectivé. Cette enquête ouvre toute grande la porte de l'extraordinaire
laboratoire d'idées de la philosophie du XVIIe siècle, et montre les
effets, jusqu'à aujourd'hui, de la révolution intellectuelle que celle-ci a
préparée.