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«L'homme reste homme tant qu'il est sous le regard d'une
femme de sa race.» Dans les colonies, cette phrase n'a rien
d'un paisible constat. Comme le montre avec force l'historienne
et anthropologue états-unienne Ann Laura Stoler, c'est
une injonction qui trahit une inquiétude, inséparablement
raciale et sexuelle, sur l'ordre du monde colonial.
Du ventre des maîtresses au sein des nourrices, l'empire
(qu'il soit français, britannique, néerlandais, ou autre, en
Afrique, en Asie et ailleurs) est obsédé par la police de l'intimité
: il régule les relations sexuelles, entre prostitution, concubinage
et mariage, en même temps que la reconnaissance des
enfants métis et l'éducation des enfants blancs. Car, au moins
autant que des «autres» racialisés, c'est bien de «blanchité»
qu'il s'agit.
Mais ce que le colon savait, les études coloniales l'avaient
oublié. Telle est la leçon coloniale que nous offre Ann Laura
Stoler, relisant la biopolitique selon Michel Foucault à la
lumière crue de l'empire : les savoirs sexuels du colonisateur
sont aussi des pouvoirs raciaux, tant la mise en ordre est également
un rappel à l'ordre.
Cet ouvrage déjà classique participe d'un renouveau des
études coloniales, qui nous invite à penser ensemble le colonisateur
et le colonisé, mais aussi la métropole et l'outre-mer.
Ainsi, sa traduction aujourd'hui en français ne nous parle pas
seulement d'ailleurs, mais pas uniquement non plus d'hier : si
notre présent est travaillé par l'histoire, c'est que les «débris
d'empire» continuent de joncher notre actualité.