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Ils ont souvent tout perdu, famille, travail, maison, raisons
de vivre, ceux qui arpentent le hall de la gare de Lyon sans
espérer partir nulle part. Ils ont tout perdu et ils n'attendent
plus rien.
Parmi eux, il y a la vieille, élégante dans sa misère, cheveux
coiffés, habits bleus. Depuis trois ans qu'elle vit là, elle
s'est reconstruit un univers dans la salle des pas perdus. Son
Caddie toujours plein d'un savant bric-à-brac. Ses copains
de galère, Max, Henri, Élie, Céline. Ses combines et des
confidences avec Yvonne, la dame-pipi. Ses trouvailles
quotidiennes dans les poubelles garnies par les gavés, les
nantis, les inconscients. Sa boîte à sucre, boîte aux secrets,
aux souvenirs de la vie d'avant. Le spectacle de ceux qui
ne veulent jamais perdre, ni leur temps, ni leur argent, ni
un seul pas, ni rien. De temps en temps un festin de rouge
et de jambon-baguette avec les autres. Et sa chambre à
coucher, carton et couverture derrière les deux piliers de
l'angle gauche. Tout est en place, bien rôdé. Une routine
comme une autre.
Jusqu'au jour où la vieille aperçoit une toute jeune fille
sur un banc, à l'heure du 19 h 48 pour Avignon. Elle est
différente. Fragile. Au bout. Elle semble regarder quelque
chose intensément, à l'intérieur d'elle-même. Puis elle se
lève. Et la vieille reconnaît son pas.
Un pas perdu.