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Entre janvier 1773 et novembre 1775, le critique littéraire Jean-Baptiste-Antoine
 Suard envoie une soixantaine de lettres au margrave Christian-Frédéric
 d'Anspach-Bayreuth, neveu de Frédéric II, qui vient de quitter la France.
C'est là la première édition critique intégrale de cette correspondance, établie
 à partir des deux manuscrits connus à ce jour, l'un conservé à la Bibliothèque
 historique de la ville de Paris, l'autre à la Bibliothèque municipale de
 Besançon. Sur un plan strictement historique, la correspondance se situe dans
 une période de transition très houleuse et témoigne du changement de règne.
 Elle rivalise avec la correspondance de Grimm-Meister et les journaux que le
 margrave reçoit aussi. Elle permet donc de saisir, à la manière d'un exemple, ce
 que sont les réseaux de communication et d'information de l'époque, leur fonctionnement,
 les enjeux politiques et littéraires qui les sous-tendent. D'un point
 de vue littéraire, elle s'interprète à la fois comme le reflet de goûts personnels
 dominés par une rhétorique de la convenance et comme une vulgate critique où
 la subjectivité s'exprime aussi parfois avec une verve singulière. Elle recèle certaines
 pièces inédites qui ne sont pas sans valeur pour l'histoire des textes et
 donne connaissance du Salon de 1773 qui manque à ceux de Diderot, alors en
 Russie. Travaillée par une tension entre un mode critique, parfois même polémique,
 et un mode ludique qui n'exclut pas quelque familiarité, elle s'appréhende
 comme un modèle du genre dont la poétique est plus aisément analysable
 que celle de correspondances du même genre, mais beaucoup plus
 longues. À vrai dire, elle offre un cas d'étude tout à fait remarquable pour définir
 avec quelque rigueur la poétique de ce genre particulier de journalisme.
 C'est la raison pour laquelle une étude littéraire définissant notamment les
 enjeux socio-critiques de la correspondance et sa pragmatique précède le texte.
À noter enfin l'originalité du travail éditorial qui a tenu compte de la spécificité
 générique de l'oeuvre : outre les traditionnelles notes d'érudition et d'établissement
 du texte, l'éditeur a proposé sur les sujets traités par Suard de longs
 passages tirés de quelques autres ouvrages critiques, manuscrits et imprimés,
 représentatifs de l'époque. Ainsi, le lecteur sera-t-il à même de se faire, au fil
 des lettres, une idée précise des enjeux esthétiques et critiques qui président à
 l'écriture de la correspondance.