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«Ma chère petite âme» : c'est ainsi que très souvent Martin
Heidegger commence les lettres qu'il écrit à sa femme Elfride.
Ce volume, édité par leur petite-fille Gertrud, contient un
septième environ des quelque mille lettres et cartes écrites
entre 1915 et 1970 - dont toutes celles conservées entre 1933
et 1938 - avec de brèves notes factuelles permettant de les
situer. Compte tenu du cours des choses en France («affaire
Heidegger»), il se pourrait que nombre de lecteurs entrent
dans cette correspondance armés d'une unique question,
dans le genre : «Voyons s'il y a là-dedans du nazisme et de
l'antisémitisme.» Cette entrée s'avérera décevante. Car la
vraie question, tout à fait portée par la vie du couple telle que
ces lettres nous la montrent, est la suivante : Heidegger est
certainement un grand philosophe, qui a été aussi, et en
même temps, un nazi très ordinaire. C'est comme ça. Que la
philosophie s'en débrouille !
Cette correspondance permet d'accompagner de l'intérieur,
sur la longue durée, les intérêts de pensée et les sources
d'inspiration. Mais la nouveauté la plus éclatante est d'ordre
biographique, voire existentiel. Heidegger/Elfride, un couple
de l'époque existentialiste ? On est frappé par l'élégance avec
laquelle Heidegger accepte le fils adultérin Hermann, dont la
brève postface ici même est de l'ordre du coming out. Pour
qui, comme Nietzsche, est convaincu qu'en définitive une
philosophie est la biographie de son auteur, le portrait de lui-même
que Heidegger dessine pour son épouse est clairement
déchiffrable comme un éclaircissement des procédures de
sa pensée. C'est bien à l'image d'une province catholique
allemande et d'un chalet de montagne qu'il faut se représenter
l'originel, la patrie, l'accueil ou le lieu. C'est bien à l'image
d'Elfride qu'il faut se représenter la sainteté latente de l'autre.
Et, inversement, on lit dans le recteur excité, l'intrigant
des commissions académiques, le mari dont les infidélités
incessantes trament la fidélité, quelque chose qui excède
absolument leur apparence, qui les noue de façon intime et
puissante à une pensée neuve.