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Le présent ouvrage tente de repenser la révolte des étudiants du printemps
68 en prenant à contrepied la lecture aujourd'hui dominante.
Raymond Boudon et Pierre Bourdieu apparaissent dans la sociologie
française comme les fondateurs d'écoles diamétralement opposées par
leurs soubassements théoriques et leurs affinités politiques. Il n'est donc
pas surprenant qu'ils se soient retrouvés au printemps 68 dans des camps
radicalement différents. Bourdieu, qui manifestait le 13 mai avec les étudiants,
rompt publiquement avec son maître Raymond Aron lorsque ce
dernier appelle à une «croisade de la raison» contre la «mascarade révolutionnaire»
et à la création d'un comité de défense de l'université libérale.
Boudon est au contraire un des tous premiers membres de ce comité
concédant l'opportunité d'une rénovation mais soucieux de retour à l'ordre.
Cependant, les lignes de clivage sont souvent plus subtiles et moins
franches qu'il n'y paraît. Lorsqu'en 1984 Bourdieu, devenu une des figures
les plus titrées et les plus influentes de l'intelligentsia française,
publie une analyse rétrospective du mouvement de mai 68, il reprend à
son compte (en les traduisant bien sûr dans son propre lexique) les thèses
que Boudon avait élaborées à chaud quinze ans plus tôt.
Selon ces thèses, rendues presque indiscutables par l'accréditation
commune d'aussi prestigieux adversaires, les étudiants grévistes de 68
auraient été inquiétés par un processus objectif de dévaluation des
diplômes, et entraînés par des agitateurs issus des classes privilégiées,
des dilapidateurs d'héritage voués, par la médiocrité de leur parcours, à
déchoir par rapport au rang parental.
Louis Gruel, en se fondant sur l'analyse serrée de multiples informations,
établit que ces thèses sont contredites par les faits. Il montre ce qui
s'est effectivement passé au «sous-sol» des événements : comment ce
qui était pour une génération la réalité sociale, le monde commun, l'ordre
évident, s'est défait, est devenu scandaleux, absurde ou dérisoire aux yeux
d'une fraction de la génération suivante. Il ne s'agit donc pas seulement
de savoir ce qui s'est passé hier : il s'agit de comprendre un peu mieux
comment une société se fissure, comment se dénouent soudainement les
liens qui font tenir les hommes ensemble.