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Renaut, dont le surnom de Beaujeu suggère l'élégance, le badinage et la distance du contredit et du contrepoint, transforme subtilement tout ce qu'il touche : la structure traditionnelle et les thèmes du conte merveilleux (géants, nain, chasse merveilleuse, «fier baiser»...) aussi bien que les couleurs de la rhétorique, ou même la mentalité féodale. Beaujeu pourrait être le nom de n'importe quel auteur jouant à écrire un roman avec motifs et recettes à la mode arthurienne et mettant en tension dans l'espace de la fiction, le je du lyrisme et le il du récit pour mieux évaluer leur pouvoir respectif dans le jeu de la séduction.
Dès le prologue, Renaut nous avertit que, dans le Bel Inconnu, se superposent et s'entrelacent plusieurs formes littéraires appelées à «jouer» ensemble : le conte d'aventure fournit la donnée narrative ; la chanson apporte le passé et l'avenir du récit ; le roman procure à l'histoire sa forme nouvelle, opposée à l'écriture traditionnelle du merveilleux et demeurant ouverte, au gré de la dame aimée, qui est le seul «maître de sa création».
Mettant en œuvre le conflit de l'amour fou et de l'amour sage, inscrivant un roman d'éducation (du héros et du public) dans le temps et l'espace de la Genèse, Renaut, beau et mauvais joueur comme Renart, emprunte et pille avec le naturel de celui qui se sert d'un lexique commun pour dire autre chose que ses devanciers. Cette aventure, où le narrateur intervient directement et dispose de ses personnages, peut se lire comme une quête du nom et des origines par un protagoniste sans mémoire, inconnu de tous et de lui-même, dans un processus d'individualisation qui le mue en Guinglain roi et amant, ou encore comme l'émergence spectaculaire d'une personnalité d'exception, chevalier au lion et héros solaire, portée vers son apothéose par la force d'un destin qui hésite entre le déterminisme mythique et la liberté d'un désir fuyant.
