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Issue d'une famille de hobereaux allemands établis en Russie
au seizième siècle, Zinaïda Hippius (1869-1945) est une figure
haute en couleur, emblématique du siècle d'Argent.
Après avoir accueilli avec enthousiasme la révolution de
Février, elle déchanta presque immédiatement. D'emblée, elle
conçut pour les bolcheviques une haine totale et sans merci,
voyant dans la révolution d'Octobre l'arrivée «du pouvoir des
ténèbres, du royaume du diable» et n'admettant pas la
moindre compromission avec leur régime. Son Journal des
années 1914 à 1920 est un document saisissant.
Zinaïda Hippius laisse, de par son personnage, ses salons,
ses journaux et ses oeuvres un témoignage irremplaçable sur la
Russie décadente et symboliste du début du siècle, la Révolution
et le Paris de l'émigration russe.
1er août, Saint-Pétersbourg (ancien calendrier)
Que noter ? Et peut-on noter quelque chose ? Il ne se passe rien, sauf
une chose : c'est la guerre !
Et il ne s'agit ni du Japon ni de la Turquie, le conflit est mondial. Et
moi, ici, cela me fait un peu peur d'en parler. Cette guerre appartient à
tout le monde, elle appartient à l'histoire. Et les observations d'un personnage
ordinaire ont-elles un sens ?
D'autant plus que, comme n'importe lequel de nos contemporains, je ne
m'y retrouve pas, je n'y comprends rien, je suis simplement en état de choc.
Une seule chose est claire : si je dois continuer à écrire, je dois le faire
en toute simplicité.
Il semble que tout se soit joué en quelques jours. Mais, bien sûr, il n'en
est rien. Nous n'y croyions pas parce que ne voulions pas y croire.
Les avant-derniers jours, j'avais été très frappée par le désordre qui
régnait à Pétersbourg. Je n'étais pas en ville, mais toutes sortes de gens
différents venaient nous rendre visite à la campagne, et chacun nous
racontait les choses d'une manière très précise, avec sympathie. Et malgré
cela, je ne comprenais absolument rien, et l'on sentait que celui qui
racontait n'en comprenait pas davantage. Il était même évident que les
ouvriers engagés dans le mouvement n'y comprenaient rien eux-mêmes,
alors qu'ils mettaient à mal les wagons des tramways, arrêtaient la circulation,
alors qu'on tirait de droite et de gauche et qu'il y avait des
cosaques dans les rues.