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«Nulle part» (ou-topos), tel est le sens premier du mot utopie, lequel joue aussi sur une
autre étymologie possible : eu-topos, «le Pays où tout est bien». D'où l'ambivalence de
la notion, qui évoquera au choix l'évasion littéraire dans les Ailleurs fabuleux ou les aspirations
politiques à une société parfaite future.
Quoique les deux orientations soient en réalité difficilement dissociables, cet ouvrage
s'inscrit plutôt à l'intérieur de la première, donc d'une conception essentiellement spatiale
de l'utopie considérée comme un genre. On a cependant moins cherché ici à délimiter
une forme «pure» de l'utopie littéraire classique en une période - le XVIIe et le XVIIIe
siècles - qui est considérée comme son âge d'or qu'à explorer sa périphérie en prenant
pour fils conducteurs la quête de l'altérité et l'imaginaire du voyage.
Exotisme descriptif, primitivisme esthétique ou philosophique, anthropologie comparative,
mythe de l'Age d'Or ou du Bon Sauvage mettent en jeu, comme l'utopie, une
relation duelle de l'Ici et de l'Ailleurs. On a donc souhaité à la fois ouvrir à la recherche
utopologique un territoire nouveau, celui des «littératures de voyages» sous leurs différentes
formes, et revisiter avec un oeil neuf des oeuvres qui ne sont pas seulement des
«classiques» de l'utopie (La Terre Australe Connue de Foigny, l'Histoire des Sévarambes
de Veiras), mais des écrits de voyageurs (La Hontan, Leguat, Lafitau), des encyclopédies
géographiques (l'Histoire des deux Indes), des contes philosophiques (Candide), des satires
(les Voyages de Gulliver), des pièces de théâtre (les «Iles» de Marivaux), des romans
(Télémaque, Cleveland, Paul et Virginie entre autres). L'enquête s'étend des voyages imaginaires
de l'aube de l'Age Classique (L'Autre Monde de Cyrano de Bergerac) au cycle américain
de l'oeuvre de Chateaubriand (Atala, René), qui consacre le refermement des Ailleurs
des Lumières et la fin de la grande littérature utopique.