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Rien n'est plus riche d'effets, au théâtre, que la fameuse «scène de
reconnaissance», dans laquelle, les fausses identités se dissipant, les soeurs
retrouvent leurs frères dans les jeunes inconnus que la voix du sang leur
désignait confusément, les parents leurs enfants qu'ils croyaient perdus à jamais, et
les héros leurs origines jusque-là mystérieusement voilées.
Dans sa définition aristotélicienne, la reconnaissance (anagnorisis), théorisée à
propos de la tragédie, est étroitement liée au renversement final et au dénouement de
la pièce. La reconnaissance canonique est une surprise paradoxale, puisqu'elle émane
de la logique même de l'action : plus qu'une scène, elle est un véritable processus qui
se prépare dans les rouages de la dramaturgie. À l'époque classique, cette conception
aristotélicienne de l'«agnition» reste au fondement de la réflexion théorique sur la
question. La pratique, cependant, en est souvent bien éloignée : on use et on abuse du
procédé, tandis qu'il s'épanouit dans la comédie, la tragicomédie et le drame. Peu à
peu, de nouvelles dramaturgies, ainsi que de nouveaux enjeux esthétiques, sociaux et
philosophiques induisent en outre de nouvelles pratiques de la reconnaissance. Dans
le théâtre moderne et contemporain, la difficulté à cerner les contours d'une identité
pouvant soutenir le principe de la révélation deviendra le sujet même des drames de
la reconnaissance.
Les contributions réunies dans le présent volume étudient les formes et les usages
de la reconnaissance, en France, du XVIIe au XXIe siècle, aussi bien dans les formes
de théâtre où la constance et l'identité du personnage sont des présupposés de la
dramaturgie, que dans celles où, précisément, elles en constituent un enjeu. Instrument
critique privilégié, l'étude de la reconnaissance se révèle, pour chaque époque, un
moyen efficace d'interroger les ressorts de l'action.