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Lorsque, au début des années 1980, avant la chute
du rideau de fer, les romans de Kadaré commencèrent
d'être traduits et connus en France, puis
en Europe et ailleurs, ils fascinaient certes, mais ils ne
satisfaisaient vraiment personne sur le plan de l'idéologie.
Car il y avait dans ces textes trop de marxisme et trop de
nationalisme pour que leur auteur ne soit pas suspecté, à
droite, d'être le produit du communisme albanais, en
clair, de ne pas être un authentique dissident, et il y avait
en même temps en eux trop d'archaïsme, pas assez de
réalisme socialiste pour que, à gauche, les nostalgiques de
l'utopie albanaise ne se sentent pas trahis par lui. Or,
depuis 1990, l'hypothèque n'a pas été levée. Au contraire,
c'est un véritable procès qui a été peu à peu instruit : les
soupçons étrangers rencontraient les soupçons albanais,
et réciproquement. L'auteur était sommé de se justifier
d'être toujours vivant et d'avoir pu publier. L'homme et
son oeuvre étaient suspectés d'ambiguïté, de défaut de
clarté : trop d'ombre.
Or, précisément, ce qui caractérise l'écriture de Kadaré,
c'est qu'il ne cherche pas le centre, la pleine lumière, mais
explore les zones d'ombre et de brouillard. Pour cela, son
choix est d'être en permanence à la frontière...