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Quel lien un être transplanté entretient-il avec une
contrée qui ne lui est pas familière ou qu'il retrouve
après une absence ? Chez Gracq, mémoire, langage,
individualité ne prennent corps qu'en relation avec
la texture du monde, que ce soit une rivière qui
cachait entre prés et falaises les enchantements de
l'enfance (Les Eaux étroites), une ville qui donna
forme à l'adolescent (La Forme d'une ville), un territoire
entre terre, tourbières et océan, ancien pays des
vacances (La Presqu'île) ou, à l'opposé, une montagne
crépue de bois denses (Un balcon en forêt).
Comme l'univers de Gracq est toujours couvert de
chemins, de routes, de passages, c'est souvent le glissement
des paysages, des heures ou des saisons qui
racontent l'histoire. Chaque itinéraire se transmue
alors en aventure intérieure, qui tente d'enlever au
réel, énigmatique, une parole exacte, pour communiquer
l'essence secrète des lieux et déchirer l'aveuglant
rideau qui la dissimule. Un balcon en forêt, par
exemple, ne réussit-il pas ce tour de force : conjuguer,
avec une grande justesse, l'évocation d'un épisode
de la guerre de 39-40, et le sens du mystère, de
l'insolite, de l'appel surréaliste au «lâchez tout», le
désir de traverser le mur des apparences pour
atteindre «l'autre côté» du visible ?