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C'est un surprenant coup de force qu'opère la pensée de Freud en posant
comme prototype du déni de réalité le refus par le petit garçon d'entériner
sa perception de l'absence de pénis chez la fille ! Nous en sommes toujours,
un siècle plus tard, à prendre la mesure d'une telle implication du sexe dans
le rapport subjectif à la réalité extérieure. La sexuation de l'être humain,
avec la reconnaissance d'incomplétude qu'elle exige (le rapport au sexe
qu'on n'a pas), ferait condition de l'aptitude à être sujet dans le monde.
C'est sans doute en raison de l'énormité de cet enjeu que la conception par
Freud du phénomène de déni (Verleugnung) fut exceptionnellement
longue : il ne lui a pas fallu moins d'un quart de siècle pour poser fermement
(en 1925) le déni de réalité dans sa différence foncière avec le refoulement,
et inventorier la gamme de symptômes qu'il détermine - de l'étrangeté
au délire en passant par le fétichisme.
Contrairement au refoulement, en effet, le déni de réalité est «suspension
du jugement» subjectif. Aussi sa genèse s'avère-t-elle régulièrement trans-individuelle
et transgénérationnelle, débouchant dans la pratique psychanalytique
sur cette donnée-clé de la «communauté de déni», telle qu'elle
a pu entraver la naissance du sujet dans son milieu originaire, et telle qu'elle
aura bien sûr à se transférer dans la cure - qu'il s'agisse d'une «cure type»
ou d'un travail à plusieurs en institution.
La matière clinique qui nourrit cet ouvrage est celle des diverses maladies
du rapport à la réalité : délires, pathologies de comportement, expériences
«limites»... Certains cas sont tirés de l'expérience du divan de l'auteur,
d'autres de son travail psychanalytique à plusieurs en institution thérapeutique
(hôpital de jour pour adolescents).