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Derrière leur foisonnement, ces essais publiés entre 1828 et 1851
contiennent une théorie cohérente, complète et unifiée de la rhétorique
selon De Quincey, une véritable théorie de la persuasion par
laquelle l'oeuvre de littérature dépasse le domaine classique de la
représentation de l'idée pour entrer dans celui de la présentation de
l'idée.
De l'influence de la langue sur ceux qui l'utilisent - dont De
Quincey propose des démonstrations éclatantes (grec, hébreux, latin,
grandes langues européennes) - à l'exposé de ce qui constitue l'apport
particulier de tel écrivain, telle nation, tel genre à l'histoire de
l'humanité, De Quincey nous étonne par la tonicité de ses démonstrations.
Une des preuves les plus réjouissantes de l'«inactualité» de ces
essais est l'analyse implacable du monde de l'édition et de la lecture :
«La multiplication même des livres confirme toujours plus
l'échec de l'objet. Le nombre des lecteurs a augmenté, les moyens
de publication sont plus nombreux ; mais tout en augmentant
dans une proportion plus grande encore, considérés séparément,
les livres ne reçoivent plus qu'un quotient individuel de publicité
de plus en plus restreint.
Le caractère inégalitaire de la publication fait qu'un très grand
nombre de livres ne rencontrent jamais le moindre lecteur. Les
livres ne sont dans leur majorité jamais ouverts ; cinq cents exemplaires
peuvent être imprimés [...] cinq peut-être seront parcourus
sans attention particulière. Les journaux populaires, qui publient
une grande quantité d'articles et d'essais mêlés, et les placent dans
un nombre de main tout aussi nombreux, doivent [...] duper le
public en faisant croire qu'ici du moins tous les articles seront lus.
Il n'en est rien. Un ou deux le seront, parce qu'ils sollicitent un
intérêt particulier pour leurs sujets. Un seul est lu occasionnellement
pour l'habileté avec laquelle il traite d'un sujet.
Non, non ; chaque année porte en terre sa propre littérature.
Depuis Waterloo, ce sont quelque cinquante mille livres et pamphlets
qui se sont ajoutés aux rayons de notre littérature nationale,
sans tenir compte des importations étrangères. De ces cinquante
mille volumes, deux cents survivront peut-être ; et vingt peut-être
dans les deux siècles qui suivront ; cinq ou six mille ont peut-être
été lus avec indifférence ; le reste n'a pas même été ouvert.»