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Nina : Je frappe à la porte de l'atelier, Simon ne me répond pas, je pousse doucement la porte, il est endormi dans son vieux fauteuil, il ronfle légèrement. Je m'approche sur la pointe des pieds, je m'assieds sur le tabouret, je le regarde.
Celui avec qui j'ai vécu jusqu'au début de l'adolescence, celui dont je redoutais les colères et les coups de gueule, qui me traitait comme un objet encombrant malencontreusement posé sur son chemin, celui dont Madeleine ne cessait de critiquer l'égocentrisme.
Je regarde les rides qui lui sillonnent le visage, la peau du cou qui se flétrit, la barbe de plusieurs jours aux poils blanchis, ses mains aux ongles cassés et pleines de taches de couleur.
Sa vieille chemise se soulève et redescend. « Le coeur qui bat dessous est malade », dit Claire. « Pas si malade que ça », dit Yvan. C'est vrai qu'il a toujours aimé se plaindre, exagérer ce qui lui arrive, jouer les martyrs et les moribonds.
Sur le chevalet, un tableau à peine commencé. Sur un autre chevalet, celui qu'il a terminé il y a quelque temps, un bateau de pêche dans la brume, on y distingue vaguement la silhouette jaune du pêcheur, et dire qu'il s'est obstiné sa vie durant à ne jamais faire que ce genre de peinture.
Une vieille maison au bord d'un lac. Un étrange ballet entre rêve et réalité fait s'y côtoyer six personnages : Simon, la soixantaine, un peintre sans grande renommée, faussaire à ses heures perdues, et qui sent qu'il va mourir bientôt ; Nina, sa fille aînée, actrice de théâtre en perdition, qui débarque après quinze ans d'absence ; Louis, un bonhomme un peu ridicule venu la rejoindre ; Claire, la cadette, obsédée par l'idée d'avoir un enfant ; Yvan, le cousin mal aimé ; et le père de Simon, disparu il y a longtemps mais revenu hanter ses rêves, et qui se dédouble en Gabriel, un inconnu, jeune encore, qui lui ressemble étrangement et que l'on sauve d'une noyade dans le lac.
Pour Simon, « misanthrope certifié », comme il se nomme lui-même, c'est l'heure d'un bilan pas très glorieux. Mais au-delà des rancoeurs et des échecs qui imprègnent ce petit monde aux références tchékhoviennes manifestes, quand ce que l'on n'a jamais voulu s'avouer refait surface, aussi bien dans la fantaisie de l'onirisme que dans la rugosité du réel, apparaîtra peut-être une amorce de réconciliation, tant avec soi-même qu'avec les autres.