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Je relis L'enfant d'Agrigente, je relis Le latin mystique,
je relis Curtius, Auerbach, Pierre de Nolhac... : je les
réunis en esprit dans une collection idéale qui satisfait
a la conception que je me fais de l'essai. Le mot est à la
mode et désigne un genre polymorphe : essais historiques,
scientifiques, politiques, critiques ; tantôt l'exposé d'un
point de vue brillant et instantané, proche du pamphlet,
tantôt la quintessence de recherches patientes dans un
champ disciplinaire donné. C'est plutôt ainsi que je vois
la création d'une collection intitulée « Les Belles Lettres/essais ». Dans le paysage éditorial français, notre maison se
distingue par la place qu'elle réserve à l'érudition, cette sévérité, qui est de fondation, est son honneur. Elle se distingue
aussi par la place éminente donnée à des langues et à une
culture qui sont de plus en plus l'apanage de spécialistes.
Mais l'érudition n'est pas cuistrerie et il arrive que la spécialité partagée vienne enrichir d'un éclat irremplaçable la
culture universelle. Seulement, il faut, pour cela, infuser à la
philologie une âme, c'est-à-dire de l'amour - et un style.
Ou, comme sur la monnaie d'Auguste, à la lenteur cuirassée du Crabe marier la légèreté du Papillon. C'est le
rôle de l'essai, essai en ce sens aussi que, relevant ce défi,
on a mesuré la part de risque.
La question du médium est au centre de cet essai.
D'une part, le médium des artefacts visuels traditionnellement considérés comme des « images » (dessins, tableaux, estampes, etc.) est défini par la nature de leurs supports.
En appliquant aux oeuvres d'art le même traitement qu'à tout
autre objet, la photographie n'a pas fait qu'élargir la famille
des images, elle en est devenue le paradigme, de sorte que la
reproduction d'une oeuvre d'art qui n'est pas une image est une
image. La condition définitoire de ce qui fait image s'en trouve
dès lors modifiée.
D'autre part, on donne le nom de « médium » à une personne
que ses pouvoirs suprasensibles mettent en communication avec
les « esprits ».
Parce qu'ils situent l'image au confluent de ces deux grandes
déterminations (le renvoi et la transmission), les textes de Pascal
Quignard peuvent nous éclairer sur les pouvoirs qui lui sont
attribués.
L'hypothèse est la suivante : non seulement toute image actuelle a un médium, mais toute image, en tant qu'elle est image
de ce qui est sans image (« image qui manque à nos jours »), est
un médium. La médialité (les « supports ») est aussi une affaire
de médiumnité (les « transports »). Médée, l'infanticide, la
magicienne, empoisonneuse et guérisseuse, dotée des pouvoirs
d'un médium (d'une chamane), est précisément la figure générale
de la médiation.