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Né en 1880, Andréi Biély fut avec Alexandre Blok un des chefs de file de la
seconde génération symboliste en Russie. Mais son art de la métaphore, son
écriture novatrice font surtout de lui un des maîtres du futurisme russe et de la
«prose ornementale» des années vingt en URSS. En 1902, ce fils d'un célèbre
mathématicien, lui-même étudiant en sciences naturelles, scandalise le public
en publiant une insolite Symphonie dramatique. Comme Blok, il exprime dans
ses vers le refus du «monde terrible», et l'appréhension du «châtiment».
Les poésies de Cendres, simples et poignantes, furent inspirées par l'échec
de la première révolution russe. Mais esprit universel, homme-orchestre
prodigieusement doué, conscience perpétuellement torturée, Biély n'est pas que
poète. Son roman La Colombe d'Argent (1910) est un récit incantatoire inspiré
par «la face sombre» de la Russie, celle des sectes clandestines et sauvages.
L'oeuvre romanesque de Biély atteint son sommet avec Petersbourg,
où l'obsession maladive de la «provocation» s'exprime dans un univers
constructiviste qui ressemble à un labyrinthe. Le livre n'était pas achevé que
Biély, esprit perpétuellement assoiffé, se convertissait à l'anthroposophie que
venait de fonder un théosophe dissident, Rudolf Steiner. Avec une humilité
monacale, il construit à Dornach, en Suisse, le «Temple de Jean». En 1916,
il rentre en Russie par l'Angleterre. Il vit alors dans un monde obsessionnel
et grotesque qui est décrit avec une minutie clinique dans les Carnets d'un
toqué (1922). Comme Blok, Biély se rallia d'emblée à la Révolution d'Octobre,
fondant le mouvement des «Scythes», saluant le retour à une féconde barbarie
où il reconnaissait l'esprit du premier christianisme. Il publie un étrange petit
livre, Kotik Letaiev, où il tente de recréer la perception et l'univers mythique
du nouveau-né et du très jeune enfant. Il passe quelques mois à Berlin, en
même temps que Gorki, avec qui il collabore à la revue Beseda, puis rentre
en URSS. Émigré de l'intérieur, malgré ses efforts dérisoires pour aborder de
nouveaux thèmes littéraires soviétiques, Biély s'enfonce dans la solitude de
son labyrinthe. Trois tomes de mémoires, brillants, injustes et fulgurants font
gesticuler devant nous toute la Russie du premier quart du XXe siècle. Un livre
posthume sur Gogol maître écrivain est une pénétrante étude de l'univers du
grotesque. A sa mort, en janvier 1934, le poète Ossip Mandelstam écrivit une
suite étincelante de poèmes dédiés à ce génie inquiet et solitaire, qui avait
provoqué en Russie une mutation du langage comparable à celle de Joyce en
Occident, mais qui, muré dans son univers tourbillonnant, devait longtemps
rester un des artificiers méconnus du XXe siècle.