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En février 1943, le mot «Stalingrad» est sur toutes les lèvres : ce mot aux
sonorités tranchantes deviendra le symbole de la citadelle sur laquelle s'est
brisé le raz de marée allemand.
C'est à cette époque, immédiatement après les combats auxquels il a assisté
en tant que correspondant de l'Étoile rouge et dont il a rendu compte dans ses
chroniques, que Vassili Grossman entreprend sa fresque monumentale, Pour
une juste cause, dont la seconde partie, mondialement célèbre, portera le titre
Vie et Destin.
Grossman est alors un homme ébranlé par la guerre. Son fils aîné a été tué
au front, sa mère a péri dans un ghetto. L'identité juive retrouvée sonne le
glas du mythe de la grande famille prolétarienne dans laquelle les différentes
ethnies sont censées se dissoudre. Terminé après la fin de la guerre, Pour une
juste cause est publié dans les numéros de juillet à octobre 1952 de la revue
Novy Mir.
Jamais, depuis l'invasion tatare, aucun ennemi n'a pénétré aussi loin en
terre russe et jamais le prix d'une victoire n'a été aussi élevé. Comment expliquer
pareil désastre ? En endormant la vigilance des censeurs par des louanges
envers sa patrie socialiste, Grossman parvient, avec une virtuosité toute tolstoïenne,
à recréer l'authenticité de la guerre. Le fanatique Abartchouk arrêté
alors qu'il est au sommet de sa carrière, et le commissaire Krymov, membre
du Komintern en disgrâce, et le vieux marxiste Mostovskoï, en disgrâce lui
aussi, allusion à peine perceptible à la destruction de la vieille garde, et le
savant Strum, et Alexandra Chapochnikov, l'aïeule dont la vitalité triomphera
du mal et de la mort, tous ces personnages, qui s'interrogent à demi-mots sur
la viabilité du communisme et le pourquoi du fascisme, vivront à travers ce
roman la grande épreuve de la vérité, qui anime la littérature russe depuis que
celle-ci existe.
Épopée de la plus grande bataille de la Seconde Guerre mondiale, Pour
une juste cause est aussi un vivant portrait du peuple russe saisi à l'heure de
la souffrance et de la grandeur. Mais derrière cette mosaïque de destins, ces
batailles haletantes, ces sacrifices bouleversants, nous voyons déjà se profiler
les questions vertigineuses de Vie et Destin sur les grandes idéologies totalitaires
de notre temps.