Read more
Ce livre n'est pas un livre de plus sur Mozart. Il est l'oeuvre de
Guéorgui Vassiliévitch Tchitchérine (1872-1936). Issu de la grande
noblesse russe, devenu Commissaire du Peuple aux Affaires Etrangères
du premier gouvernement bolchevique de 1918 à 1930, il a
notamment négocié la paix de Brest-Litovsk et le traité de Rapallo.
Tchitchérine avait l'habitude de dire qu'il avait deux grandes passions
: «Mozart et la révolution». Comment concilier l'amour pour
Mozart et l'adhésion à un régime où au nom de la révolution on
assassinait Mozart tous les jours ? C'est précisément ce paradoxe
qui fait la valeur singulière de ce livre en posant la question du sens
de l'engagement et, à travers le cas de l'auteur, celles de la relation
entre l'art et la politique, entre l'esthétique et l'idéologie, entre la
culture et la société, entre l'Etat et le Peuple, entre l'intelligentsia
et le diktat communiste.
La réflexion de Tchitchérine sur la pensée musicale de Mozart
prend une dimension universelle, car son interprétation transpose
dans le domaine des valeurs esthétiques un déterminisme historique
assimilé à une force élémentaire qui meut l'histoire du monde
et l'histoire des hommes. La musique de Mozart, selon Tchitchérine,
traduit objectivement une angoisse métaphysique liée à un sens
de l'histoire qui est moins une raison dans l'histoire qu'un mal dans
l'histoire, une révolution permanente qui brasse et broie les destinées
humaines. Quand il écrit son étude sur Mozart, en 1930, au
moment où il se retire de la vie publique, Tchitchérine projette dans
sa lecture de Mozart sa propre vision du monde modelée par
l'échec de son propre engagement politique. Il se penche avec la
lucidité de l'expérience sur une utopie créatrice qui, à l'aube de la
révolution, en se confondant avec l'idéal communiste, avait
dévoyé tant d'intellectuels, d'écrivains et d'artistes russes. A cet
égard, la lecture de son livre, tout en apportant un éclairage inédit
et passionnant sur l'oeuvre et la destinée de Mozart, nous aide à
démêler à travers les malentendus tragiques du passé des imbrications
toujours actuelles entre la vie culturelle et la vie sociale, entre
la sphère de l'art et le monde réel.