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Moi-même
Il est peut-être en tout deux catégories de littérateurs : les hommes de lettres et les êtres de lettres. À cette seconde appartient sans nul doute Charles Nodier (1780-1844), qui fut poète, critique, romancier, grammairien, conteur, philologue, bibliophile, essayiste et bibliothécaire. Sans oublier non plus qu'il fut homme à traverser les plus grandes périodes politiques : Révolution, Consulat, Empire, République et Restauration ; et qu'il fut également un passeur, lorsqu'il ouvrit vers 1820, à la bibliothèque de l'Arsenal, un salon recevant un cénacle d'écrivains certainement pleins d'avenir : Hugo, Dumas, Balzac, Nerval, Musset, Gautier... Être de lettres, donc, surtout si l'on songe, parmi la multitude de textes de toute nature qui constituent son oeuvre, à deux d'entre eux qui recèlent certainement l'attachement viscéral que portait Charles Nodier à l'idée même de la littérature : à l'Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux, tout d'abord, et puis à ce petit récit Moi-même, édité pour la première fois, de manière posthume, en 1921, où s'élabore et se déploie une véritable conception de l'écriture qui se met elle-même en scène et devient dès lors pour elle-même et son propre objet et son propre sujet. Texte d'une modernité totalement déroutante, écrit à l'âge de vingt ans, et qui se joue délicieusement et promptement, à la manière d'un Sterne et du Tristram Shandy, des catégories de la fiction.