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En avril 1913, Albert Schweitzer (1875-1965) débarquait au
Gabon, à la mission protestante de Lambaréné. En Europe, il est
aujourd'hui quasiment oublié ; on associe encore parfois son nom
au prix Nobel de la paix, qu'il obtint en 1952, et à l'hôpital qu'il
créa à Lambaréné. Son image de bon médecin blanc paternaliste,
portant le casque colonial, a contribué à l'éclipser presque
totalement.
Derrière l'argument selon lequel il n'y aurait plus rien à dire
sur Schweitzer se dessine un trait de pensée caractéristique de
l'Occident qui croit à une histoire inventée, et n'imagine pas
combien il n'est pas seul détenteur de la mémoire. Considérer que
tout a été dit sur Schweitzer, c'est se complaire dans cette posture
qui voulait, à l'époque coloniale, que la parole des colonisés n'ait
aucune valeur. Il est temps d'entendre la version africaine de la
rencontre entre l'Européen et l'Africain.
Ce livre est le fruit de conversations et d'échanges qu'a eus
pendant huit ans Augustin Emane avec une soixantaine de
personnes qui ont été soignées à l'hôpital Schweitzer ou qui y ont
accompagné des malades. À travers elles, on accède aux croyances
et aux constructions imaginaires des populations gabonaises. Le
succès de Schweitzer est certes dû au fait qu'il a correspondu aux
images autochtones du guérisseur, mais il doit beaucoup au fait
qu'il était «un homme au service d'autres hommes».