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«Voici un auteur qui n'a pas froid aux yeux. Il n'y a pas
que la mort et le soleil qui ne peuvent se regarder en face, le
lien d'autorité aussi. Mohammed Ennaji l'affronte sans ciller.
Les circonspections recommandées quand on aborde le
thème de la domination de l'homme par l'homme s'imposent
encore plus dans le monde arabe, où les mystères du despotisme
s'enveloppent encore d'une aura frissonnante et sacrée.
La croyance en Dieu y sert, plus ou moins explicitement, de
contrepoint, voire de support à l'allégeance au chef.
Or justement, là est le défi que relève Mohammed Ennaji.
Pour désacraliser le pouvoir d'État, il faut le reconduire non
seulement à sa racine, qui est religieuse, mais désenterrer la
racine de la racine, en fouillant encore plus loin dans l'inconscient
collectif : la pratique apparemment révolue de l'esclavage
et son empreinte persistante au fond des mentalités.
L'historien marocain montre, preuves documentaires à l'appui
et par une minutieuse enquête historique, que l'État
musulman poussé sur les décombres des anciens royaumes
d'Arabie en a repris non seulement les rituels et les lois civiles,
mais leur institution fondamentale : l'esclavage. Statut, ascendance
ou couleur de peau, il n'y avait pas, même au temps du
Prophète, d'égalité entre les croyants. C'est dire qu'il n'y a pas
eu d'âge d'or, et que le monde arabe ne trouvera un avenir de
liberté que s'il accepte de déconstruire ses légendes et de
regarder son passé en face, de se désengluer d'un héritage plus
ou moins inconscient, qui, comme tous les autres, l'occidental
inclus, est aussi glorieux que piégé.»
Régis Debray