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La raison est-elle cette faculté naturelle en l'homme qu'a décrite une certaine tradition
philosophique ? En vérité non, elle a une histoire, ou plutôt, est histoire.
Configuration culturelle, elle a un lieu et une date de naissance donc un devenir.
La question aujourd'hui, qui ne paraîtra intempestive qu'aux aveugles, est de
savoir si nous n'assistons pas à son déclin.
Analyse de la notion
Sous le terme de logos, le monde grec n'entend pas une propriété qui ferait de
l'homme une exception dans la nature, mais la structure complexe des harmoniques
en lesquelles se dit l'identité de la pensée et de l'être. Le XVIIe siècle, identifiant
la raison à l'humanité, en consacre la souveraineté sur le monde. Mais n'y a-t-il
pas là une illusion par laquelle, les pouvoirs de la rationalité semblant pourtant
ainsi affirmés, la puissance libératrice de la raison est en fait occultée ? Sans doute,
cette puissance est-elle pleinement avérée par une raison saisie dans son mouvement
dialectique et sa fondamentale historicité. Mais le règne apparemment sans
partage de la rationalité calculatrice à l'époque contemporaine ne signe-t-il pas,
sinon la mort, du moins l'atrophie de la raison ?
Étude de textes
Platon, dans un texte fameux du Phédon, donne l'occasion à Socrate d'énoncer la
décision rationnelle fondatrice de la philosophie. Cette décision, bien loin de nous
exiler en quelque lieu étranger, nous renvoie à nous-mêmes et à l'essentielle question
de notre bonheur : le Livre X de l'Éthique à Nicomaque d'Aristote exprime
cette solidarité forte de la rationalité et de la vie heureuse. Tournant le dos à l'exigence
eudémoniste, la Critique de la raison pratique de Kant fait de la raison, saisie
en sa pleine autodétermination, le fondement de la norme morale. C'est de
l'abandon de cette visée normative que Heidegger, dans Que veut dire «penser» ?,
prend acte en opposant les droits de la pensée aux prétentions de la raison.