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Comment le terme carmen a-t-il pu renvoyer à une catégorie sonore et évoluer
dans les langues romanes vers la notion de «charme» ? Comment expliquer qu'un
terme voisin, cantus, soit à l'origine de la notion de «chant» ? Où se situe la
rupture entre deux mots pourtant issus d'un même verbe : canere ? Notre étude,
qui se veut globale, se propose d'analyser la dimension non seulement acoustique
mais également pragmatique du terme carmen. Nous montrons qu'il ne s'agit pas
seulement d'une catégorie sonore : il renvoie à un acte porteur de contraintes.
Notre premier chapitre aborde les emplois de carmen associé à trois types de
sujets - oiseaux, instruments, cantores - et montre l'existence de deux pôles :
parallèlement à l'emploi du terme, renvoyant à des chants ou à des musiques,
sur le modèle grec du melos, nous analysons un sens indigène qui renvoie à une
sémiologie contraignante, celle des signaux des trompes ou des auspices. Cette
dimension pragmatique oriente la suite de notre analyse : dans les chapitres deux
et trois qui traitent les emplois du terme dans le domaine du droit et de la religion,
nous montrons que le mot carmen, désignant d'abord des incantations, est réemployé
de façon nouvelle au début de l'Empire pour désigner toutes sortes d'actes où la
parole, employée en formule autonome, suscite des effets contraignants : prières,
lois ou serments. Dans un quatrième chapitre, nous analysons l'usage du mot
carmen dans le domaine de la communication des dieux avec les hommes : le
terme renvoie alors au contraintes irrémédiables du fatum. Les usages du mot, à
rapprocher du nom de Carmenta, s'appliquent alors à tous types d'énonciations
divinatoires comme les oracles ou les prédictions. Enfin, dans les deux derniers
chapitres, nous analysons l'introduction de carmen comme terme d'autoréférence
poétique : ce nouvel emploi, introduit par Catulle et Lucrèce pour rendre compte
sous forme de fictions textuelles du sens musical grec d'odè associé à des vers,
va être systématisé sous l'Empire. Le terme permet alors de désigner l'ensemble
des genres poétiques tout en les investissant de sens pragmatiques indigènes :
parole des poètes inspirés (vates), il est alors associé à une force pragmatique
mythifiée par les magiciens ou les prophètes, dont la Sibylle, transportée sur le
mont Palatin, constitue le modèle.