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On trouve chez Héraclite la première - et décisive - élaboration du lien
unissant le concept à l'action : il met ensemble Logos et Polemos,
le discours et la guerre. Parcourir, comme le fait ce livre, le devenir de la
parole de raison (logos) dans son rapport avec le conflit dans les choses,
c'est à la fois comprendre le statut de ce genre particulier de pensée qu'est
le logos philosophique et le caractère propre de la pensée des Européens. Né
en Grèce d'Asie, le logos philosophique s'est finalement rétabli en Europe
occidentale, après une longue éclipse médiévale, à la faveur d'une vaste
migration à laquelle, d'Orient en Occident, ont pris part juifs, chrétiens
et musulmans.
Il en est ainsi parce que le logos des origines - logos philosophique d'Héraclite
à Marc Aurèle - a fait l'objet d'un détournement théologique : le logosraison
est devenu, au tournant des Ier et IIe siècles de notre ère, le Christ-Logos.
Dès lors, les apologètes chrétiens ont pratiqué un vaste larcin en
élaborant la figure paradoxale d'un logos de l'ineffable : ce n'est plus le
raisonnement qui établit le vrai, c'est la révélation. Ils l'ont construit non
comme religion mais comme «philosophie chrétienne», polémiquant
ainsi contre le logos «païen». Une opération qui substitua, aux temps
médiévaux, le théologico-politique à la philosophie.
En pistant les effets politiques du larcin chrétien sur le devenir des
Européens, ce livre manifeste à la fois l'essence polémique de la
philosophie, et comment les Européens ont rejeté, notamment au
sein des universités de Paris et d'Oxford à partir du XIIIe siècle,
la captation chrétienne du logos héraclitéen. Une opération
violente par où le théologico-politique s'est finalement effacé
devant la philosophie, et l'Église devant l'État moderne.