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L'artiste est un individu apparemment atypique, parfois
anormal ou déviant, dont pourtant la complexion psychique
se trouve être au diapason de l'inconscient collectif
- «un ambassadeur du monde muet», disait Francis
Ponge ; ambassadeur du futur aussi bien, sourd à la tonalité
ambiante, mais sensible à des harmoniques subtiles.
On ne sait quel hasard biographique l'investit du pouvoir
divinatoire de jouer ses propres fantasmes comme un prélude
aux temps à venir. Ainsi le troisième millénaire est-il
né sous le signe de la pulsion de mort, et sous le parrainage
d'artistes qui, dans leur vie comme dans leur oeuvre,
ont fait vibrer la consonance du symbole et de l'absence.
Le suicide, dans leur cas, n'a pas nécessairement pris la
tournure brutale d'un passage à l'acte, il a trouvé son efficacité
symbolique, il a même pu être différé une vie
durant. En tant que processus de disparition visible ou
intelligible, il prend un sens qui excède la sphère personnelle,
illustrant ce paradoxe de Kafka : «Loin, loin de toi
se déroule l'histoire mondiale, l'histoire mondiale de ton
âme...». C'est la vérité de notre temps qui transparaît
dans l'oeuvre de ces êtres métaphoriques qu'on peut qualifier
de suicideurs plutôt que de suicidés.