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Qui a peur de Lady Macbeth ? Depuis sa parution en 1865 à
Saint-Pétersbourg, la nouvelle de Nikolaï Leskov Lady Macbeth du
district de Mtsensk, qui relate les aventures criminelles de
Katerina Lvovna Izmaïlova, une femme de marchand possédée par
la passion sexuelle, n'a cessé de provoquer fascination et effroi
chez ses lecteurs. Au XXe siècle, elle a été fréquemment transposée
dans les arts visuels et musicaux. À travers ses adaptations par
Boris Koustodiev, Dmitri Chostakovitch, Andrzej Wajda ou Valeri
Todorovski, le texte de Leskov a connu des fortunes diverses qui
sont autant de témoignages sur la façon dont la culture russe - et
plus généralement slave - a abordé la sexualité féminine.
Lady Macbeth du district de Mtsensk, c'est la nature contre la
culture, l'allégorie d'un féminin avant tout instinctif et pulsionnel
qui met en danger l'ordre masculin rationnel ; c'est
l'aboutissement d'un héritage d'héroïnes qui, de Salomé à
Mélisande, en passant par Médée, Clytemnestre ou Méduse,
circulent entre mythe et Histoire. Femme fatale, femme-tueuse,
femme-animal, femme possédée et, enfin, femme morte et désirée
comme telle, la Lady Macbeth de Leskov et de ses adaptateurs
matérialise puissamment le passage du romantisme à la modernité
et la menace que cette dernière peut faire peser sur l'art normatif.
Dans le contexte russe de son élaboration, puis soviétique de son
adaptation, la figure de Katerina Lvovna montre également toutes
les limites d'un autre mythe : celui de la femme émancipée sous les
régimes autoritaires.