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Des récits aimables mais sans prétention littéraire, tombés d'ailleurs
en désuétude ; une succession de bons mots et de plaisanteries égrillardes,
plus ou moins raffinées, nées au détour de la conversation ; un
divertissement oiseux pour aristocrates oisifs. Telles sont les images qui
s'imposent communément au lecteur contemporain, grandement
dédaigneux des poetae minores et ignorant des conventions du siècle,
lorsque sont évoqués les contes en vers au XVIIIe siècle. En plein triomphe
des Lumières s'invite effectivement dans le paysage littéraire cette
production singulière, foisonnante et féconde, mais qui n'a jamais fait
l'objet d'une analyse d'ensemble. Poésie de société, création collective et
sérielle, le conte en vers manifeste indéniablement le goût du persiflage et
du badinage propre aux mondains et restitue avec vivacité la physionomie
d'une époque avide de légèreté et encline à la licence. Sous la plume des
admirateurs des Contes de La Fontaine transparaissent toute l'insolence
et la sensualité du XVIIIe siècle. Véritable phénomène de mode, comme le
conte de fées qui le précède, le conte en vers semblerait presque
anecdotique avec son charme suranné, mais ce serait oublier avec quelle
justesse il éclaire la part d'ombre d'un siècle qui n'était pas tout entier
tourné vers la raison et le combat philosophique, mais savait aussi se
divertir de bagatelles. Presque à son insu, il se constitue ainsi en genre
littéraire à part entière, marginal certes, non codifié par les théoriciens et
décrié par les tenants de l'orthodoxie littéraire, mais pratiqué par les
auteurs reconnus, à l'image de Voltaire, comme par les plumes de second
ordre, tel Grécourt, l'auteur le plus prolifique du temps. Relevant de la
poésie fugitive, le récit versifié se présente comme une émanation directe
de l'art de la conversation si prisé à l'époque qu'il impose des thèmes aux
écrivains et modèle la poétique des textes. Libertin par sa philosophie, le
conte l'est avant tout par son écriture allusive et subversive, facétieuse et
malicieuse. Témoignant de la crise de la poésie au siècle des Lumières, il
incarne de toute évidence la recherche d'une voie poétique nouvelle,
empreinte d'humilité, de légèreté et de simplicité, et qui récuse au plus
haut point la gravité et le sublime.