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La crise qui affecte aujourd'hui l'architecture est une crise
de sa capacité à signifier qui s'inscrit dans un déclin plus
général de la fonction symbolique en Occident.
Qu'est-ce qui différencie un édifice d'un bâtiment ? Qu'est-ce
qui différencie l'architecture de la construction ? C'est que
l'architecture est essentiellement porteuse d'un discours qui
assigne une place à l'homme dans le cosmos. Historiquement,
c'est le pouvoir politique qui définissait cette place et faisait de
l'architecture le vecteur privilégié de son expression.
Aujourd'hui, au temps de la mort des grandes croyances,
l'architecture est orpheline de la légitimité que lui conférait cette
representation du pouvoir. Pourtant, par certaines propriétés que
cette enquête s'attache à décrire et à comprendre, l'architecture
garde cette vocation profonde à signifier.
En interrogeant un certain nombre de notions canoniques
tombées en désuétude - composition, ornement, symétrie, rythme,
etc. - cet ouvrage cherche à préciser les conditions d'existence
de cette fonction symbolique.
Car prendre le risque d'une approche ontologique de
l'architecture invite in fine à considérer ce qui fait d'elle un art
plus qu'un commerce : l'énoncé de l'humanité face au temps et
à la mort.
Je relis L'enfant d'Agrigente, je relis Le latin mystique,
je relis Curtius, Auerbach, Pierre de Nolhac... : je les
réunis en esprit dans une collection idéale qui satisfait
à la conception que je me fais de l'essai. Le mot est à la
mode et désigne un genre polymorphe : essai historiques,
scientifiques, politiques, critiques ; tantôt l'exposé d'un
point de vue brillant et instantané, proche du pamphlet,
tantôt la quintessence de recherches patientes dans un
champ disciplinaire donné. C'est plutôt ainsi que je vois
la création d'une collection intitulée «Les Belles Lettres/essais».
Dans le paysage éditorial français, notre maison se
distingue par la place qu'elle réserve à l'érudition, cette sévérité,
qui est de fondation, est son honneur. Elle se distingue
aussi par la place éminente donnée à des langues et à une
culture qui sont de plus en plus l'apanage de spécialistes.
Mais l'érudition n'est pas cuistrerie et il arrive que la spécialité
partagée vienne enrichir d'un éclat irremplaçable la
culture universelle. Seulement, il faut, pour cela, infuser à la
philologie une âme, c'est-à-dire de l'amour - et un style.
Ou, comme sur la monnaie d'Auguste, à la lenteur cuirassée
du Crabe marier la légèreté du Papillon1. C'est le
rôle de l'essai, essai en ce sens aussi que, relevant ce défi,
on a mesuré la part de risque.
P. L.