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Les recueils de sonnets amoureux de Michael Drayton (1563-1631)
restent aujourd'hui méconnus, tout autant victimes du
statut secondaire de leur auteur que d'un certain dédain vis-à-vis
de la tradition pétrarquiste. Situés à une période charnière de
l'histoire de la littérature anglaise, ils donnent pourtant à voir
toute la complexité de l'héritage italien tel qu'il est reçu outre-Manche.
Le premier recueil, Ideas Mirrour (1594), reprend de
manière ambiguë des sources littéraires et philosophiques
soupçonnées d'immoralité à travers une poétique de la variation et
de l'outrance qui tend à saper ses propres fondements. Au fil d'un
tissage topique serré du recueil s'affrontent des conceptions
concurrentes de l'amour, des passions, du corps, mais aussi de
l'écriture poétique, qui semble relever tantôt de la doctrine de
l'inspiration, tantôt d'une physiologie rappellant les travaux du
médecin espagnol Huarte. Dans les différentes versions d'Idea
(1599-1619), l'écriture, d'apparence plus sobre, oscille entre veine
comique et poétique macabre du choc visuel. Le recueil se
morcelle davantage à chaque nouvelle édition, ne trouvant
finalement son unité que dans un «je» poétique ondoyant et
fluctuant qui ne manque pas, dans une certaine mesure, de
rappeler Montaigne. Les sonnets de Drayton peuvent être
rapprochés des théories poétiques contemporaines du concetto
poetico et du Caprice ; mais ils se comprennent surtout en lien
avec un ensemble d'aspects esthétiques, anthropologiques et
épistémologiques participant de cette Renaissance tardive qu'est le
maniérisme.