Read more
Vert Paradis renvoie à une terre de garrigues, de
rocailles, d'asphodèles, de lentisques et de friches.
Entre la Camargue blanche et les Cévennes bleues, ce
pays âpre se prête au merveilleux, et l'on y rencontre
tout naturellement des hommes «sous l'apparence
desquels un dieu se cache, peut-être, pour nous mieux
connaître». Bergers, paysans, chasseurs, sauvageonnes,
musicien qui fait danser le diable ou frère qui arrête
le temps, peuplent ces récits et ces contes où la beauté
garde toujours des accents tragiques. Écrit dans une
langue charnelle et étincelante, qui nous plonge au
coeur même du vivant, le livre de Max Rouquette,
nourri de la tradition orale occitane comme des
incantations faulknériennes, s'impose par son rythme
et sa puissance.
C'était une haute croix de fer. Sans Christ. À la croisée des
branches, un simple coeur grand comme une main, rond et
vide, de fer peu épais. Tant d'hivers avaient pleuré dessus, tant
de brume et de vent et de soleil l'avaient touché, léché, fendu,
que la rouille l'avait rongé de part et d'autre, jusqu'à creuser en
son centre un trou où aurait pu s'engager le doigt de saint
Thomas. Ainsi ouvert comme un appeau pour les merles, ce
coeur de fer rouillé était aux lèvres du vent comme un hautbois
aigre et désespéré. Le moindre souffle d'air en arrachait des
plaintes discrètes, aussi déchirées que le fer, un blasphème sifflé
qui, dans la pluie battue par le vent, poursuivait le passant
comme une malédiction.
Bien haut, au-dessus des chairs noires et flétries accroupies
au pied de la Croix, le coeur, en cette nuit si douce, restait muet
comme un nid sans oiseaux.