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On sait que nombreuses sont les sociétés africaines où la sorcellerie
obsède tous les esprits tant elle apparaît omniprésente du bas jusqu'au
haut de l'échelle sociale. Conçue par la communauté comme une
puissance destructrice tapie dans les entrailles des uns ou inhérente à des objets
que des spécialistes fabriquent à l'usage des autres ou d'eux-mêmes, elle est
vécue par l'ensemble de ses membres comme une menace permanente
d'agression visant leurs corps, leurs biens, leurs vies. Elle en vient à gangrener
tout le tissu social en s'attaquant au noyau même de la cellule familiale puisque,
dans bien des cas, ce sont les rapports de parenté les plus proches, les plus
intimes, qu'elle voue à la dislocation.
L'Afrique connaît aussi, le fait est moins répandu mais il n'en est que plus
remarquable, des systèmes politiques - traditionnels, comme on dit, mais
également des États tout à fait modernes - dans lesquels l'idée d'un pouvoir
efficace, c'est-à-dire capable de contraindre les hommes comme d'agir sur la
nature, est inséparable de celle de possession d'un pouvoir de sorcellerie.
Que peut bien être un roi sorcier ? Eu égard à sa fonction qui est celle du maintien
d'un ordre social dont il est l'un des fondements essentiels, il nous confronte à
un paradoxe que les spécialistes de l'anthropologie politique ont assurément
relevé mais dont ils ont méconnu la portée en le réduisant à une expression
métaphorique du pouvoir fort, voire omnipotent.
Le roi sorcier nous offre du pouvoir une figure doublement paradoxale : garant de
l'ordre, il inclut dans sa personne son contraire ; détenteur de la puissance souveraine,
il est augmenté d'un attribut qui est censé lui conférer une surpuissance.
S'agit-il de compenser une faiblesse toute humaine ou une fragilité
constitutionnelle du statut royal afin d'entretenir chez ses sujets respect et crainte
faute desquels son pouvoir serait largement illusoire ?
S'agirait-il au contraire de cette autre et terrible illusion consistant pour un corps
social à se croire en mesure de donner «effectivement» à son souverain la toute-puissance
et ainsi projeter sur lui toute la violence dont il est lui-même porteur ?
C'est à de telles questions que ce livre tente de répondre.