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Les écrits de Kant sur les races humaines, émaillés de caractérisations
et de jugements qui heurtent notre sensibilité contemporaine, sont
accueillis par un silence gêné des commentateurs. Ceux-ci croient bon
de s'abstenir d'analyser ces textes, et d'y voir a priori des opinions mal
élaborées, victimes de l'air du temps. Mais en évitant de se confronter
à ce tabou, ils jouent aussi un mauvais tour à Kant. Car le lecteur peut
avoir l'impression qu'on lui cache quelque chose. Qui plus est,
les textes sur les races font preuve d'une cohérence interne et d'une
compacité théorique remarquables, et leur puissance explicative est
inégalée dans le champ de l'anthropologie physique de son époque -
celle de Buffon, de Blumenbach ou de Meiners. Est-ce à dire, comme
le craignent d'avance les commentateurs, qu'on trouve chez Kant un
authentique racisme théorique ? En fait, cette accusation de racisme n'a
pas vraiment d'objet à une époque où les modalités d'une pensée non
raciste, c'est-à-dire d'une anthropologie non naturaliste, étaient au
mieux en cours de constitution.
Ce constat nous mène à considérer que seule une analyse dépassionnée
des thèses raciologiques de Kant, prises dans toute leur violence, peut
rendre justice à la doctrine kantienne. Nous ne cherchons pas à
produire une «disculpation théorique» de Kant. Mais inversement,
cet ouvrage ne vise pas non plus à formuler des thèses scandaleuses ou
à révéler un «Kant non universaliste». Il entend simplement montrer
la tension d'une pensée qui fait de l'histoire un processus de civilisation
en principe universel, articulé autour d'un centre de gravité à la fois
géographique et spirituel, l'Europe, peuplée d'hommes blancs.
Cet ouvrage intéressera les étudiants et chercheurs en philosophie et
en histoire des sciences, mais aussi les étudiants et chercheurs
en anthropologie.