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«Encore une fois ce rêve éveillé, toujours le même qui m'obsède. Prawieneské.
Les arbres élancés, serrés les uns contre les autres, la terre blonde et rousse, le lac
si tranquille. Ses yeux. Il va être fusillé. Il a trente ans. Vivre. Dernières secondes.
Les mêmes gestes, au ralenti. Pointer le canon du fusil. Le nazi. Il vise. Deux
coups. Mon père s'écroule dans la fosse comme un vulgaire paquet. Mon père
jeté nu dans un trou plein d'eau. Nez contre terre. L'écho, interminable.»
Trente ans, mon père avait cet âge lorsque sa vie lui a été volée. Il me
manque. Alors, j'ai eu besoin de mettre des mots sur cette douleur, d'attirer
mon père dans un monde imaginaire pour que je puisse lui donner une
place juste et réelle. J'ai voulu que l'écriture chasse la peur qui me hantait,
non pas comme un médicament apaisant, mais comme une victoire contre
le mal. J'ai souhaité que le mot remplace l'innommable.
«Regarder en arrière, quitte à me tordre le cou. Non, je n'ai pas peur d'être
transformée en statue de sel. Mon fol espoir, ramener les morts à la vie. Mon
inexpérience est totale. Je n'ai qu'une solution, m'arrêter sur les petites choses,
les détails minuscules, fouiller les archives, traquer l'Histoire, aller sur les lieux,
recoller les morceaux et me laisser entraîner par ce que je vais découvrir.»