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Depuis le rapport de la Banque mondiale sur le développement (2004), la réussite
ou l'échec des projets se voient explicitement corrélés au degré d'implication des populations
«pauvres» concernées dans le processus de prise de décision relatif à leur mise
en oeuvre. Il est donc capital de se demander en quelles langues ces «pauvres» peuvent
faire entendre leur voix. Généralement, la pauvreté s'accompagne de ce que l'on peut
appeler une «dépendance communicationnelle», accentuée par la fragmentation linguistique
due au fort multilinguisme de la plupart des pays africains. Cette dépendance
n'affecte pas uniquement les groupes linguistiques très minoritaires ; elle reflète la marginalisation
de toutes les langues africaines par rapport aux langues officielles d'origine
européenne.
Si la maîtrise des ressources communicationnelles constitue un critère essentiel pour
la durabilité du développement local, comment peut-il se faire que la question linguistique
en général, et la langue localement principale en particulier (celle que la communauté
locale emploie le plus), soient ignorées ou voient leur rôle minimisé, comme le
démontre le silence qu'observent sur ce sujet les spécialistes de la communication pour
le développement ainsi que la majorité des sociologues de l'éducation ?
Deux positions se font face lorsqu'il s'agit de résoudre le problème de la fragmentation
linguistique. La première recommande d'employer une langue qui transcende cette
fragmentation ; ce peut être la langue léguée par la colonisation, ou une langue africaine
véhiculaire - les tenants du panafricanisme vont même jusqu'à prôner l'emploi d'une
seule langue africaine à l'échelle du continent. L'autre option est celle de la durabilité
communicationnelle, qui implique la maîtrise locale des questions d'intérêt local, exprimée
par l'usage d'une langue locale ; elle implique également l'égalité en matière de
communication et l'égalité dans l'accès à l'information. Si les experts admettent d'emblée
la première option (n'allant toutefois pas jusqu'à préconiser l'emploi d'une langue
véhiculaire africaine, en général), ils écartent a priori la seconde, qui les dépouillerait
de leur pouvoir linguistique.
L'écoute des «pauvres» dans leur propre langue et suivant leur propre code culturel,
permet une nouvelle compréhension des problèmes que leur cause la fragilité de
leurs conditions de vie ; elle permet encore de comprendre leur réactivité d'un point de
vue englobant (holistique) et non pas sectoriel (purement technique).