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En mars 2000, le Sénégal a connu une alternance politique qui a interrompu
le règne sans partage exercé par le Parti socialiste (PS) depuis l'indépendance.
L'évolution du système clientéliste dans la région du delta du
fleuve Sénégal permet de comprendre le déclin du parti au pouvoir.
Ce travail a pour point de départ la libéralisation économique et politique
intervenue au début des années quatre-vingt. Dans le nord du pays, le
désengagement de l'État s'accompagne de la construction de barrages
dédiés à l'aménagement du fleuve. Alors que la promotion d'un modèle
d'irrigation privée était réputée substituer des rapports marchands aux liens
de dépendance personnels, les relations clientélistes en sont sorties renforcées.
Le clientélisme s'est reconstitué sur de nouvelles bases productives,
par l'intermédiaire d'entrepreneurs politiques qui captent dans la sphère privée
les ressources destinées à mobiliser leurs clientèles.
Ces leaders construisent leur hégémonie en s'appuyant sur les formes
«traditionnelles» du pouvoir, notamment à partir d'alliances parentales avec
les anciennes notabilités régionales, tout en manipulant les ressources du
développement pour le consolider. L'intensification des conflits factionnels
autour de la rente du développement a toutefois suscité l'émergence de
logiques dissidentes fondées sur la remise en cause des pratiques corruptrices.
La description anthropologique de l'évolution des hiérarchies pendant la
période de la libéralisation témoigne de leur érosion progressive. Les dynamiques
de la société rurale, révélées à travers la famille, le foncier, la dette,
affectent les relations de pouvoir, et les conflits qu'elles engendrent réagissent
sur les comportements politiques. Cette recherche décrit, à partir de
différents angles, comment les changements de longue durée et les conjonctures
politiques qui traversent l'histoire nationale et locale contribuent à
l'essor progressif d'un espace public.