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La méthode utilisée dans les tomes 3 et 4, à l'inverse de celle qui a
prévalu dans l'élaboration des deux premiers tomes, privilégie une étude
diachronique des faits tout au long des 76 ans de colonisation. Elle vise
une ré-interprétation plus vigoureuse des événements, selon une logique
plus conforme à la vision des historiens togolais ce passé récent, avec
une volonté de regarder en face ce kaléidoscope générateur de certains
maux qui minent la société togolaise actuelle.
L'histoire de la période allemande, revisitée, insiste ainsi sur le
régime d'apartheid qu'une poignée d'administrateurs institua pour dominer
le million de Togolais du début du XXe siècle. Que seraient devenus
ces Togolais sans la victoire alliée de 1918 ? En tout cas, pas ces
citoyens fiers d'une prétendue «colonie modèle» dans laquelle vivaient
des sous-hommes sans aucun droit. Colonie modèle pour qui ? Pas pour
ceux qui subissaient les pires humiliations. Le Togo n'était en fait une
«colonie modèle» que pour l'administration allemande, lorsqu'il cessa
d'être subventionné par la métropole à compter de 1905. La défaite de
Kamina a donc véritablement libéré les Togolais d'un joug humiliant et
inhumain, bien éloigné des systèmes français et anglais.
Mais, paradoxe de l'histoire, la propagande du Bund, qui regroupa
dès les années 1920 quelques anciens fonctionnaires locaux de l'administration
allemande rejetés par les Français au profit des agents dahoméens
parlant français, fut si active en vantant les mérites de la présence
allemande aux dépens des Français, que dans les années 1960, la
grande majorité des Togolais croyaient que les 30 années de présence
allemande avaient été un âge d'or pour le Togo. Et malgré tous les
démentis, le mythe demeure.
La période de la domination coloniale au Togo aura été, au regard
de l'Histoire, bien courte : 76 ans sur la côte, environ 60 au Nord, soit
à peine une vie d'homme. Il y en eut, comme Felicio de Souza, qui,
adolescents, virent l'arrivée des Allemands et, au soir de leur vie, assistèrent
à l'indépendance. C'est pourtant cette colonisation qui, à partir de
populations jusque-là disparates, donnera au Togo son existence - un
territoire internationalement reconnu - et son identité : une nation (en
devenir) dont la grande singularité est d'avoir été façonnée par trois
colonisations successives, fort différentes dans leurs principes.