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L'eau est engrais, route et force, et ainsi «richesse souveraine», écrivait
Jean Brunhes. Par la variété de ses usages, répondant à des besoins fondamentaux,
elle constitue un bien de souveraineté, une source de conflit quand
la ressource se raréfie, que les usages et les usagers se multiplient. Conflits
entre finalités (agriculture et production d'électricité par exemple), modalités
techniques (décrue et irrigation, modernisation technique ou tradition...), usagers
(agriculteurs contre éleveurs, pêcheurs), ou encore entre échelles, de l'État
au terroir : les échelles d'analyse sont multiples. La géopolitique fluviale est
une géographie régionale qui se plaît dans les grands ensembles, mais ne s'y
complaît pas.
L'Afrique n'est certes pas un théâtre majeur des conflits hydropolitiques ;
sur la part la plus sèche du continent, contre toute attente, les tensions restent
modérées. Faut-il s'en réjouir naïvement ? Ce calme relève largement
des crises économiques et politiques, du caractère limité et local des aménagements.
On a renoncé à traiter ici les bassins du Congo et du Zambèze, qui
sont pourtant de remarquables objets géopolitiques : la crise multiforme que
traverse l'Afrique centrale a affecté les équipements hydroélectriques mais, peu
peuplée, bien arrosée, cette région n'a cure d'irrigation. Le Congo n'est plus
qu'une voie d'eau mal balisée, un pis aller faute de routes. Les cinq grands
bassins étudiés appartiennent donc tous aux zones soudanienne et sahélienne :
eaux rares, pluies faibles, population relativement dense circonscrivent les problèmes.
De surcroît, à l'exception du Niger, les tracés fluviaux conduisent du
mieux arrosé au plus sec : Sénégal, Nil et Niger supérieur auraient pu se perdre
dans les sables, à l'instar des tributaires du lac Tchad... Pour le reste, que de
différences !
Bassins du Nil et de l'Orange se distinguent des autres par leur niveau
d'aménagement, résultante du développement économique et technique. Dans
le cas de l'Orange, on pourrait parler de suréquipement. Partout, on évoque les
risques de pénurie. Pourtant les conflits internationaux pour l'eau sont rares, les
risques de guerre semblent pondérés par la géométrie des États et des fleuves.
Malgré les discours catastrophiques et parfois menaçants de l'Égypte, on n'a
pas dépassé le stade des conflits internes aux pays. Ceci n'est-il pas à l'image
d'un continent où les aménagements modernes sont des îlots, où le poids
des États aménageurs relève du discours au moins autant que du réel, où les
antagonismes internationaux se cachent derrière les «rébellions» régionales,
aujourd'hui ethniques et affairistes plus qu'idéologiques ? Ce répit ne saurait
durer longtemps. Il serait d'autant plus utile d'en profiter pour penser les fleuves
comme systèmes... Cet ouvrage, réalisé par trois générations de géographes
et historiens, voudrait y contribuer.