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À l'été 1928, alors qu'il s'apprête à engager le tournant de la
collectivisation, Staline lance, sous le nom d'autocritique,
une vaste campagne de dénonciations. «Bien sûr, affirmet-il,
nous ne pouvons exiger que la critique soit exacte à 100 %.
Si elle vient d'en bas, nous ne devons même pas négliger une
critique qui ne serait exacte qu'à 5 ou 10 %.» Au nom de la lutte
contre le bureaucratisme, les citoyens sont invités à adresser aux
autorités leurs motifs de mécontentement, à «révéler» les abus et
à «démasquer» leurs auteurs. Cette pratique va prendre une
place grandissante tout au long des années trente.
Fondée sur des archives difficilement accessibles, cette étude
analyse finement le fonctionnement du pouvoir stalinien et aborde
la dénonciation dans toute sa complexité. Elle n'est pas qu'un
instrument de répression ou un moyen pour certains d'assouvrir
leurs vengeances ou de manifester leur haine.
Elle est aussi, pour les citoyens soviétiques interdits de grève ou
d'opposition, un moyen de dire leur mal-être, leurs frustrations.
Le mécontentement populaire emprunte cependant une forme
soigneusement canalisée par le pouvoir et donc politiquement
inoffensive. Ces «signaux» sont ainsi des descriptions terribles,
directes de la vie quotidienne des Soviétiques, de la violence et
de la pénurie qui résonnent comme autant de «voix dans le
désert». La délation abjecte y côtoie des plaintes déchirantes,
mais aussi des attaques violentes, fruits d'une colère franche :
«Le camarade Staline... est une arme puissante entre les mains
de nos ennemis. Cela veut dire que, à la tête du parti communiste,
il y a peut-être, à l'insu de la population, le chef des éléments
koulaks. Il me semble que tout citoyen consciencieux de notre
Union, celui qui a porté sur ses épaules le poids de la Révolution
ne laissera aucun Staline lui fermer la bouche...»