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L'oeuvre dessiné de Pierre Klossowski, anachronique et contemporain,
impose une irréductible singularité. Venu tardivement, pour illustrer puis
remplacer l'écriture de fiction (les trois romans des Lois de l'hospitalité :
Roberte, ce soir, La Révocation de l'Édit de Nantes, Le Souffleur et Le
Baphomet), le travail modeste du crayon noir et du crayon de couleur surprend
de la part de ce brillant érudit, traducteur et exégète des grands textes
de l'Antiquité et des Pères de l'Église, des écrits de Sade, de Kierkegaard et
de Nietzsche, et dont la pensée, proche de celle de Bataille, a marqué les
intellectuels de son temps - Blanchot, Deleuze, Foucault. De fait, la vision
est chez lui préalable à l'écriture ; et l'image, thème central du Bain de
Diane, un objet sans fin de fascination et de méditation.
Geste illustrative des aventures de Roberte que ces tableaux vivants,
actualisation théâtralisée de fantasmes universels : le spectateur-voyeur
devient le souffleur de ces figures diaphanes, qui sont des doubles ou des
simulacres de lui-même. Des glissements incessants, en multiples jeux de
miroirs, sont opérés entre le réel et le fictif, l'intime et le mythe, le profane
et le sacré. Gestes et postures arrêtés dans leurs mouvements, corps
interceptés ou en suspens : autant de tentatives, vaines, de captation de
l'essence des êtres, de leur vérité ; autant de dévoilements de l'ambivalence
irréductible de la nature humaine.
C'est, par l'ironique vision disproportionnée et, surtout, par l'appel aux
stéréotypes les plus convenus de l'histoire de l'art (peinture pompéienne,
enluminure médiévale, imagerie du livre d'enfant, affiche populaire,
distorsion du maniérisme, rhétorique de l'art baroque, et autres académismes),
toute l'énigme de l'image - sa «trahison» - qui est ardemment
questionnée : est-elle reflet ou leurre ?