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Dès qu'on lit Villon, éclate son originalité irréductible : il est
différent de ses mythes et de ses légendes qui le réduisent à un
simple dévoyé ou le compliquent à l'excès, différent de lui-même
et de ses compagnons de ribote par l'éclair et l'éclat du
génie et par la contraction poignante de la facétie, différent des
rimeurs de cour, en dehors de toutes les catégories littéraires et
mondaines dans des oeuvres qui semblent dépouillées de toute
convention.
Si Villon aime à se masquer et à parler par antiphrase, c'est
peut-être parce qu'il ne peut contempler son âme dévastée sans
écoeurement ni révolte. Ces angoisses lui ont permis de survivre
parmi les génies de notre littérature, et son oeuvre, si travaillée,
ne se fige jamais dans une beauté glacée. Des formules
fulgurantes nous restituent personnages et scènes, ou traduisent
ses obsessions : la pauvreté qui le suit à la trace, l'anéantissement
total de la mort... Son style simple, coupé de parenthèses,
d'exclamations, d'interrogations, fixe les mouvements
de l'âme et du corps sans jamais donner l'impression de l'immobilité.
Un ou deux détails, un croquis rapide à la place d'une
description, une image qui nous arrache à la triste réalité, un
contraste qui juxtapose, dans le même cauchemar, les affres de
l'agonie et la beauté du corps de la femme, rendent si pathétiques
des aveux et des confidences interrompus souvent de
pitreries destinées à desserrer l'étau de l'angoisse.
Cette oeuvre si personnelle ressortit aussi à une poétique et
à une esthétique qu'on peut qualifier de parisiennes. Cet enfant
de Paris vit tellement de sa ville qu'elle est devenue un espace
intériorisé. Paris se trouve filtré, absorbé par l'esprit du poète,
qui, en retour, peut se projeter sur Paris (enfer et paradis),
extériorisant son moi multiple.