Read more
«On dit que j'ai le globe oculaire plus gros que le cerveau. Possible.
Et puis moi, ça m'arrange. Réfléchir, quand on y pense, ça fait mal à
la tête, alors que jeter un oeil par dessus le bastingage n'a jamais tué le
mousse costaud. Hissez haut, et sans Tiano, cette faignasse ! Moi qui ai
horreur du sable, qui maudit trous, plages et dunes, je ne peux que me
féliciter de m'en être éloigné en m'embringuant sur ce rafiot, quand bien
même, parfois, la croisière ça m'use. C'est juché au sommet de la plus
haute drisse que je prends enfin mon pied, palmé d'or comme on dit
à Cannes. Là, j'observe, je scrute, je mate. Je détaille et dissèque, en un
mot : je me régale. Sont-ils assez drôles, qui s'agitent, grouillent, bavassent,
les vermisseaux dont je ferai tantôt mon casse-croûte ? Du cloaque
et des hémicycles monte un bruit sourd, un râle : voilà la meute qui
croasse, cancane, se concerte ou bien s'invective et à certains moments,
meugle : Peuple, debout, crêtes hautes devant la basse-cour ! La plume
vitriolée que j'arrache alors à mon cul permettra de tracer dans le dur
leur bla-bla, leurs promesses d'ivrogne, leurs volatiles envolées. Demain,
après la cuite, lorsque les élus, leurs sous-fifres, fifres et fifrelins ne se
souviendront plus de rien, j'irai placer dessous leur groin la palanquée
des bêtises dites, les sotties, fadaises, billevesées tombées de leurs
bouches amorphes. Idem pour ce qui est du chanteur à la mode de
quand déjà ? Idem des tirades du journaleux aux doigts chiasseux,
des rodomontades sportives ou des foutaises de ma belle-soeur
et de son zouave, culotté. L'oeil acéré mieux que le bec, l'autruche
distille le tout à sec, et dans ces pages en crache le jus.»