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En 1954, frappé du verdict sans appel d'inaptitude à la vie religieuse
par la Société de Marie qui lui interdit de renouveler ses voeux,
Marius Alliod perd sa raison d'être en ce monde. À l'âge de 24 ans,
il se voit exilé dans une forteresse de silence, bien loin de l'espace
enchanté où son coeur s'était enflammé. C'est près de cinquante
ans plus tard qu'il entreprend cette correspondance fictive avec son
directeur spirituel d'autrefois, ce «Père» auprès de qui il dépose sa
plainte tragique et son indignation. Trente lettres demandant raison
de cette exclusion sans parole, sans confrontation avec ses juges ;
éprouvés posthumes devenus pures réminiscences d'un chagrin si
puissant qu'il le laissa dans la stupeur du deuil de son désir et la
honte angoissée d'avoir failli à son devoir d'amour. Chaque lettre
verse le flot furieux de prières et de plaidoyers malheureux destinés
à briser cette chape de silence et affronter une hiérarchie coupable
d'avoir usurpé le pouvoir de valider l'appel de Dieu !
C'est une âme qui se sonde jusqu'à l'épuisement de toute raison,
qui entend la détresse d'une enfance captive de la souffrance d'une
mère abîmée en un puits sans fond de mélancolie. Au lendemain de
son renvoi, elle lui adressera les dernières lignes écrites de sa main :
lamentation sans espoir devant la perte de sa vocation, mais aussi cri
ultime d'amour auquel répondent peut-être toutes ces lettres, insistantes
et belles dans la pureté d'une langue tendue jusqu'à se rompre,
modulant tour à tour au sein de l'ample bercement de la rhétorique
ce tremblement intérieur d'une poésie du coeur et la violence éruptive
d'une voix qui cherche encore ce lieu où s'éprouve la présence
du maître de la Parole.
Anne Brouan