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D'où viendra le danger ? L'un lève les yeux au ciel, l'autre jette un regard
de côté. Deux soldats, pressés l'un contre l'autre par la mate assurance
des armes, confrontent leurs solitudes apeurées. Ils furent
peints par Ambrogio Lorenzetti, comme en état d'urgence. C'était en 1338,
dans le palais public de Sienne, tandis que rôdait le spectre de la seigneurie,
ébranlant l'idée même de bien commun.
Ils ne sont qu'un détail de ce que l'on appelle aujourd'hui «La fresque du
bon gouvernement». Vous ne connaissez peut-être pas son nom, mais vous
l'avez déjà vue. Elle se déploie sur trois des murs de ce lieu de peinture. Au
nord paradent de belles et impassibles jeunes femmes, allégories de beaux
noms sonores : ici, la Justice, plus loin, la Concorde. À l'ouest, une longue
paroi étale sa réplique funeste, la cour des vices, et une ville en proie au
brasier de la haine sociale. À l'est, au contraire, on s'affaire et on danse, dans
la tranquille assurance d'une cité en paix, senza paura.
Il est une actualité de cette peur ancienne qui hante toujours notre
modernité. Elle saisit à nouveau dès lors qu'on laisse venir la force politique
des images. Car ce qui fait le bon gouvernement n'est pas la sagesse des principes
qui l'inspirent ou la vertu des hommes qui l'exercent. Mais ses effets
concrets, visibles et tangibles sur la vie de chacun. En les regardant en face,
sans doute a-t-on quelque chance de repousser, pour un temps, la trouble
séduction de la tyrannie. La peinture de Lorenzetti est le récit fiévreux de
ce combat politique toujours à recommencer.