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Dans l'Angleterre du XVIIIe siècle,
la Bibliothèque de fiction subit
une véritable mutation. Cette
étude s'efforce d'approfondir les enjeux
de cette «bataille des livres», en prenant
pour guides quelques héroïnes qui ont
la particularité d'être aussi des lectrices
forcenées : Leonora au début du siècle,
Lydia vers la fin, mais aussi leurs consoeurs
Pamela (qui s'en défend), Arabella,
Angelina, jusqu'à Emma, laquelle chez
Flaubert expie tragiquement une fascination
qui n'a été punie chez ses aînées
que du ridicule ou de la mortification.
Les chapitres analysent les relations
conflictuelles qui s'établissent entre les
auteurs et les lecteurs (et lectrices) se
disputant la mainmise sur le «corps
romanesque». C'est cette rivalité qui
pousse à l'innovation, par le moyen de
stratégies toujours réinventées de déni
et de détournement, de parodie et de
réinvestissement. L'étude particulière de
paratextes symptomatiques chez Defoe,
Richardson, Fielding, Sterne, Smollett,
alterne avec celle, plus générale, des
moments importants de l'histoire littéraire
: la notion même de novelty, et du
«novelist» comme news-writer puis
comme novel-writer, en passant par la
conceptualisation esthétique du «Nouveau»
chez Addison, le statut problématique
des autobiographies confessionnelles
de Defoe, l'«affaire Pamela»,
la vogue du sentimentalisme. On verra,
chemin faisant, qu'il y a autant de continuité,
voire de superposition, entre le
roman comme romance et le roman comme
novel - ce qu'on désignera comme
le (nouveau) roman. Cette distinction canonique
se révèlera être une question de
pose lectoriale, pas de genre. Nos héroïnes
emblématiques feront ainsi preuve d'une
étonnante vitalité d'un auteur à l'autre :
la biographie de Leonora, esquissée par
Addison, est poursuivie par Fielding,
et complétée par Maria Edgeworth ; celle
de Lydia passe de Smollett à Sheridan
avant de s'achever chez Jane Austen ;
Arabella, victime d'une grave névrose
romanesque chez Charlotte Lennox,
rechute chez Mrs. Pye... Car la Bibliothèque
peut changer, mais le désir de
fiction s'alimente toujours aux mêmes
sources.