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«Proust pour les pauvres», selon la critique de l'époque,
«Dostoïevski français» pour ceux qui avaient su
percevoir l'omniprésence de la honte, ce qu'il nommait
lui-même «une sorte de contrition imparfaite
causée par la crainte d'un châtiment», Emmanuel
Bove séduit surtout aujourd'hui par ses premiers récits
minimalistes. La description s'arrête sur quelques
signes dont l'incongruité, à force de banalité, paraît
annonciatrice de «malheurs sans rémission».
Métaphysicien malgré lui, le narrateur observe un
monde désaccordé aspirant en vain à coïncider avec
lui-même. Les personnages explorent obstinément un
quotidien où le détail se refuse à faire sens, comme
acharnés à poursuivre une déception qui finit par
croiser l'Histoire, celle de l'Occupation et de Vichy
notamment. Leur désir de ratage vient démentir la pertinence
des doctrines de la volonté sur lesquelles se
fondent les discours idéologiques d'alors. Bove
continue cependant de surprendre et séduire pour d'autres
raisons : grâce aux fragiles illuminations négatives
qui traversent ses récits. Comment résister à la claudication
inspirée qui anime ses vignettes monochromes,
à cet art décalé de représenter «de guingois», avec un
étonnant humour, l'inquiétante familiarité de notre
monde ?