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L'autre, à côté de moi ou face à moi, maître de moi ou soumis à
moi, m'aimant ou me haïssant, a pris, en philosophie, tous les
visages : simple corps dans la nature (matérialisme), sujet raisonnable
comme moi (idéalisme), centre de perspective «apparié» et
complétant mon monde (Husserl), regard absolument autre me
chosifiant (Sartre), ou visage offert et insaisissable me signifiant le
commandement éthique (Levinas). Plus on s'éloignait de la source
grecque, plus l'autre se faisait absolu. Elle, surtout, à sa place imposée
par lui, entre divinité de glace et chair obscène. Mais comment me
penser sans un semblable capable de me reconnaître ?
La psychanalyse a-t-elle fait mieux ? Du côté de Freud, une
pensée juste mais brisée au gré des cas cliniques et des réflexions
parcellaires. Ces brèches ont laissé le champ libre au grand Autre de
Lacan, symbolique et (ou) réel, reprise inavouée de l'absolument
Autre des philosophes continuant d'en imposer la place tout en le
vidant de son contenu. Acrobatie sidérante mais stérile. Il a fallu
revenir en deçà de ce mur, vers la notion, propre au sens commun et
martelée par Freud, d'un «non moi» différent de moi mais d'une
altérité relative et réductible par la connaissance. C'est à partir de
ce réel extérieur dont je peux réduire l'indéniable emprise qu'il me
faut penser autrui, elle ou lui, qui ne cesse de se faire, par son
histoire, également semblable et également autre.
Parcours à méditer par nos joyeux postmodernes de l'«ère du
vide» qui méprisent l'idée d'humanité au nom de l'individu souverain
et proclament le droit à l'altérité pour mieux se moquer des autres.