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La réflexion anthropologique a longtemps perçu dans le sacrifice sanglant
une espèce d'énigme qu'elle s'est efforcée de résoudre, mais sans y
parvenir. On s'est dit alors que le sacrifice en général, le sacrifice en soi,
n'existe peut-être pas.
L'hypothèse d'une illusion conceptuelle est légitime en tant qu'hypothèse
mais, dans la seconde moitié du XXe siècle, elle s'est durcie en un dogme
d'autant plus intolérant qu'il croit triompher de l'intolérance occidentale,
de notre impérialisme de la connaissance. Sous l'emprise de ce dogme,
la majorité des chercheurs a rejeté la théorie mimétique, qui réaffirme
la nature énigmatique du sacrifice et enracine son universalité dans
la violence mimétique de tous les groupes archaïques.
Pour illustrer la théorie mimétique, René Girard interroge la plus puissante
réflexion religieuse sur le sacrifice, celle de l'Inde védique, rassemblée
dans les vertigineuses Brahmanas. On trouve dans la Bible des violences
collectives semblables à celles qui engendrent les sacrifices mais,
au lieu de les attribuer aux victimes, la Bible et les Évangiles en attribuent
la responsabilité à leurs auteurs véritables, les persécuteurs de la victime
unique. Au lieu d'élaborer des mythes, par conséquent, la Bible et les
Évangiles disent la vérité : on y trouve l'explication du processus
sacrificiel, le processus victimaire ne peut donc plus servir de modèle
aux sacrificateurs.
En reconnaissant que la tradition védique peut conduire elle aussi
à une révélation qui discrédite les sacrifices, loin de privilégier indûment
la tradition occidentale et de lui conférer un monopole sur l'intelligence
et la répudiation des sacrifices sanglants, l'analyse mimétique reconnaît
des traits comparables mais jamais vraiment identiques dans la tradition
indienne. Même si nous restons incapables de débrouiller vraiment le
rapport qui unit et sépare ces deux traditions, ces trois conférences nous
permettent d'apprécier un peu mieux leur richesse et leur complexité.